Passant par une phase de «grand doute» quant à la Constitution qui est en train de s’écrire, Selma Mabrouk est en permanence en alerte. C’est elle qui, l’été dernier, donne l’alerte sur le projet de «complémentarité» entre hommes et femmes que le parti Ennahdha voulait substituer au terme “Egalité“ dans la Constitution qui s’écrit.
Aujourd’hui, elle est toujours aussi inquiète. D’abord, parce que la partie pour une Constitution qui préserve les acquis et répond aux exigences de la modernité, de l’égalité, de la prospérité, de la liberté et de la démocratie est loin d’être garantie, ensuite parce qu’il y a des projets de lois saugrenus, notamment celui sur la polygamie.
Selma Mabrouk est en colère: «Nous passons par de grosses difficultés. C’est cette remise en question qui fait peur. Au nom de quoi et de qui veut-on faire changer à ce point la Tunisie? Au nom de quoi veut-on détruire tous les acquis et remettre en cause l’histoire du pays, ses symboles, sa mémoire, et ce bien au delà de Bourguiba!».
S’attendait-elle à pareils revirements? Pas du tout. Elle avoue s’être engagée sur la base des accords du 18 octobre et qui engageaient tous les partis politiques sur les fondamentaux de cette Tunisie libre, juste et démocratique à construire. Eberluée par le revirement de bord d’Ennahdha, elle ne s’explique pas que l’on parle de sujets subalternes comme l’identité, l’excision, la polygamie, précisant qu’«un projet de loi é été déposé à l’ANC… A-t-on oublié pourquoi il y a eu révolution? Je me suis engagée pour plus de justice, d’équilibre entre les régions, pour lutter contre le chômage et la pauvreté… Je me suis engagée pour avancer et non pour marcher à reculons…».
L’autre déception vient aussi du parti politique en qui elle a cru et qui l’a amenée à gagner sa place à l’Assemblée nationale constituante (ANC). Ettakatol est un parti qui a déçu. Au fil des mois, il a perdu ses élus et sa base ne cesse de s’étonner de la faiblesse de son rendement au sein de l’exécutif. Le parti se contente de subir, sans arriver à peser, sans parvenir à imposer le minimum pour lequel il s’est engagé. Même avec ce nouveau gouvernement, Ettakatol a cédé: «C’est l’intérêt de quelques-uns qui est la cause de la déliquescence du parti. Les voix des mécontents ne sont nullement portées. Difficile de construire une démocratie quand un parti ne l’applique pas lui-même. Un exemple parfait du compromis qui devient compromission…»
Pourtant, elle considérait, avant d’en démissionner, que ce parti était «le seul acteur fédérateur qui a su intelligemment éviter de tomber dans le piège de la fracture entre deux sociétés, l’une ressentie comme “musulmane“ et l’autre comme “pro occidentale“ en soutenant à juste titre la nécessité d’un gouvernement d’union nationale transitionnel».
Dans sa lettre de démission du parti (octobre 2012), Selma Mabrouk explique que Mustapha Ben Jaafar a laissé faire «la dérive autoritaire de l’exécutif, par la faiblesse et l’absence de crédibilité», «n’a pas défendu “nos couleurs“ au moment où sa voix comptait véritablement».
Pour Selma Mabrouk, Ennahdha est et reste hégémonique dans la Troïka. Elle gouverne et agit par arrogance.
S’agissant du nouveau gouvernement, elle dit faire confiance et leur souhaiter du courage: «Les ministres de la Justice et de l’Intérieur sont deux personnes fiables et courageuses. Ils vont évoluer avec un chef de gouvernement fortement impliqué dans l’échec du gouvernement précédent avec à ses côtés un autre responsable, Noureddine B’hiri. Cela ne sera pas facile mais c’est déterminant pour la suite des événements…».
Amel Djait