Ce soir, samedi 24 août, au Bardo, plusieurs milliers de Tunisiens ont répondu présent à l’appel du Front de Salut pour manifester en réclamant la chute du gouvernement. Irrahil, ou dégage est le nom de cette campagne lancée à travers tout le territoire d’ailleurs.
Mais revenons donc à la marche, cette marche qui a démarré de Bab Saadoun à 18h pour arriver au Bardo, en face du siège de l’Assemblée nationale constituante, nouveau berceau de la rébellion comme l’appellent certains.
Nous avons suivi la foule qui marchait, répétait même slogans, portait même pancartes que chaque soir, de protestation, à un moment nous avions presque une impression de déjà vu. Cette impression est valable aussi pour l’ouïe, à un moment nous avions l’impression que notre mémoire auditive nous signalait une erreur, disque rayé ou simple répétition ?
Cette manifestation a été annoncée il y a déjà quelques jours par Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, mais à ce moment là, nous ignorions les objectifs, le programme et la liste des leaders politiques, militants et députés qui allaient y participer. Nous nous y sommes rendus comme un vagabond qui marchait vers l’inconnu..
Une fois arrivés au Bardo, nous constations de suite, le vide politique, pas de vide humain mais, politique, ces personnalités qui ont appelé à marcher n’ont pas marché à nos côtés, ils n’étaient pas là, nous ont-ils simplement abandonnés ou s’agit-il d’une satirique caméra cachée ?
Eh bien non, ce n’est pas une blague, il y avait quelques représentants de partis pour éloigner les soupçons du vide politique mais les chefs de file, les grands, les décideurs, en un mot l’opposition n’était pas au rendez-vous.
Nous avons tergiversé avant de trouver des adjectifs pour qualifier la situation puis nous avons commencé à en cherches les failles, elles avaient pour champ lexical, communication. Négociation, dialogue, compromis, pourparlers, tables rondes sont quasi-absents ou mal organisés. A tous ceux qui utilisent le néologisme, «négociation» je dirai que c’est un terme vulgaire et inapproprié, il ne s’agit pas d’une vente, ni d’une transaction financière, mais de décider ensemble de l’avenir d’un pays, un pays tant aimé.
Une pénurie de communication menace le pays
Contrairement à ce qu’a titré Le Monde, la Tunisie n’est pas à la veille d’une guerre civile mais d’une guerre de communication, une guerre sans armes, avec un silence assourdissant.
D’ailleurs, c’est plus grave et plus dangereux qu’une pénurie de médicaments, de lait, de nourriture, de gaz et de carburant. Aujourd’hui, les problèmes de communication n’atteignent pas uniquement la relation gouvernement-opposition mais frappent aussi les relations internes de l’opposition.
Le dialogue de sourds
Depuis la nuit des temps, un grand problème de communication touche la Tunisie. A l’ère de Bourguiba, déjà, la Tunisie, qui jouissant d’une belle Constitution à la sauce des temps modernes et d’un Code du statut personnel (CSP) qui prévoyait l’insertion professionnelle, et l’éducation et l’émancipation de la femme, souffrait de troubles de la communication car cette Constitution, aussi belle soit-elle, a été rédigée, promulguée et appliquée mais jamais votée …
Une époque de dictature a effacé toute possibilité de communication entre le pouvoir et le peuple si ce n’est la communication verticale et univoque du pouvoir au peuple…
A l’ère de Ben Ali, la situation s’est dégradée davantage, il fallait presque injecter à la Tunisie de la communication dans les veines, peu importe le groupe, ou le rhésus, bonne ou mauvaise soit-elle, la Tunisie avait besoin de communiquer, étouffant du mûr en béton construit entre le pouvoir, l’opposition et le peuple. L’opposition trop occupée à renverser à tyran ou à en rêver, n’a pas eu le temps d’écouter le peuple ou du moins le connaître et le prix se paye aujourd’hui.
Lorsque la parole est d’argent le silence est d’or…
Depuis la « révolution » tout le monde parle, s’exprime, écrit, chante mais le malheur c’est que personne -ou presque- n’entend et personne ne s’entend avec l’autre, conséquence logique d’ailleurs.
Nous tentons à tort et à travers d’avancer avec un pas en avant et dix pas en arrière car notre sens de l’écoute est vulnérable et quasi absent, il n’y a que les appels à la violence qui sont écoutés car c’est un discours nouveau et agressif ; l’opposition (si elle existe vraiment ) doit sûrement songer à changer ses méthodes, innover et apprendre à écouter avant de se faire entendre voire obéir.
Mal « entendu »
Une opposition qui n’arrive pas à se décider si telle ou telle personne peut monter sur scène pour faire son discours ou pas reste une opposition qu’on peut largement critiquer. Nous évoquons ici, le scandale de Mohsen Marzouk, représentant du parti Nidaa Tounes ou l’Appel de La Tunisie qui a été empêché par ses collègues de monter sur l’estrade. Un collègue a filmé la scène et il a été lynché gratuitement et qualifié de non professionnel pour avoir filmé la scène de dispute et montré au monde le niveau d’organisation de notre opposition.
Encore une fois, on se lynche, se divise, fait tout pour parler mais rien pour s’écouter.
Le calme avant la tempête
Pendant ce temps là, et loin de l’ambiance de guerre du Bardo, Ennahdha met son bouclier et refait ses calculs. Les décideurs islamistes temporisent, se réunissent pour trouver une sortie à la crise afin de sauver leur peau, sauver leurs postes et, peut-être, sauver le pays, comme ils disent…
Divertir est une arme à double tranchants
Au Bardo, certains sont là pour chanter, d’autres pour applaudir, d’autres pour filmer, une véritable ambiance de fête dont profitent les jeunes. Pour positiver, nous allons dire que, sans trop d’efforts, la Tunisie accueille le festival du Bardo, semblable à celui de Carthage mais avec une tâche plus difficile car en plus de divertir le peuple, les organisateurs doivent faire tomber le gouvernement.
Ai-je dit divertir ? Mais qui divertit qui pour faire ses coups en douce?
Janvier, le mois sacré des Tunisiens
Un ami militant et coordinateur régional du Parti du Travail Tunisien, m’a rassurée…
Il m’a rappelée que les Tunisiens prennent leurs vacances en été et se révoltent en hiver. Prenons l’exemple de la révolte du pain en 1982, de la révolte de 78 et de 2011, le point commun avec ces révoltes c’est qu’elles sont toutes arrivées en janvier.
En attendant janvier, qui parmi nous peut avoir la prétention de dire qu’il peut nous sortir de là en écrivant, chantant, priant? Sans doute celui qui saura écouter …
M.E.B