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JCC 2012 Clap 1ère… « Moteur ? Ça tourne ! »

« Dégage », de Mohamed Zran… ou plutôt « Dégage » Mohamed Zran!
Un coup de gueule, que dis-je un cri d’indignation, la dénonciation d’un scandale, une envie de hurler et de pleurer en même temps…Qu’as-tu fait Mohamed ? (on se tutoie dans la vraie vie, et d’habitude on s’aime bien), qu’as-tu-fait de notre révolution ? Comment peux tu proposer à voir, et au monde entier de surcroit, une telle ignominie !!!!

Pourquoi montrer des images de téléphone portable, d’une qualité en-dessous de ce que l’on peut attendre d’un cinéaste digne de ce nom, de gens morts, de plaies sanguinolentes, des crises d’hystérie à l’hôpital ? Pourquoi montrer des enfants instrumentalisés qui ne savent pas de quoi ils parlent, des jeunes goguenards cherchant juste à se montrer devant la caméra au lendemain d’une révolution qu’ils n’avaient pas faite, et pas ceux qui étaient vraiment là le 14 janvier ?

Pourquoi montrer des entretiens avec ceux qui n’avaient rien à raconter quand tant avaient à dire ? Pourquoi ce pathos, voyeur morbide, racoleur mais indigne de toi et d’un film qui prétend expliquer au monde notre révolution ? Pourquoi avoir joué sur le régionalisme puant et les tirages de couverture à soi… entre les avocats, les habitants de Sidi Bouzid, les syndicalistes qui revendiquent chacun l’initiative de la révolution avant tout le monde ?

De toi Mohamed, on attendait autre chose, une exploration des sentiments que tu maitrises bien d’habitude, une analyse avec du recul de ce grand moment d’histoire que nous avons vécu. Non, rien de tout cela. Tu t’appliques à interviewer les gens à terre de Kasbah 1, quand il y avait tant de gens debout, quel symbole ! Debout pour réclamer la dignité qu’ils étaient venus chercher à pied, à cheval, en voiture… tu montres des gens dans la rue enfouis dans des couvertures, sans explications… comme s’ils étaient des clochards assoupis alors qu’ils étaient juste des gens qui osaient dormir dehors en plein hiver après s’être relayés avec leurs compagnons de lutte jours et nuits. Comment n’as tu pas pensé que des étrangers y verraient autre chose que la réalité ?

Qu’as tu fait de ton devoir de mémoire, et de ta responsabilité en tant que cinéaste qui portera l’étendard de notre révolution au-delà des frontières ?  Tu l’as piétiné, notre révolution, tu l’as réduite à un soulèvement de pauvres hères, à une cour des miracles en révolte, à une manifestation de miséreux affamés. Même si la misère, le chômage, l’injustice ont leur part dans ce qui a bouleversé notre pays, le succès, si succès il y a, du 14 janvier c’est d’avoir rassemblé toutes les catégorie sociales dans un même ras le bol, une même volonté de lever la tête.

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Quand à l’immolation de Mohamed Bouazizi, que nous importe de savoir qu’il buvait des bières avec tel ou tel, qu’il était l’ami d’untel ou d’untel, mais que (ouf, la tendance religieuse du moment est respectée), il s’était mis à la prière juste quelques jours avant de mourir… 70 minutes au moins à nous  parler de Bouazizi, à nous le montrer entièrement calciné (avec au passage une image qui ressemble fort à une image chipée ailleurs), à nous expliquer qu’il avait des cauchemars et une intuition qu’il allait mourir…

Les seules pistes du film intéressantes, qui malheureusement arrivent trop tard et ne sont pas exploitées, sont, enfin, des questions posées par les vrais jeunes et moins jeunes de Kasbah 1 et 2 : intifada ou révolution ? C’est quoi exactement la liberté, la démocratie ? Et une petite phrase jetée comme ça, presque murmurée, sur la réalité pas encore établie d’une planification des mouvements et d’une manipulation des foules par une coordination de syndicalistes et d’avocats dans tous le pays … image encore symbolique, cette phrase est dite par un homme que l’on voit égrener son chapelet !!! Comprenne qui voudra.

Quand soudain le générique fin achève notre calvaire, et que l’on voit apparaître Quinta production, on ne peut s’empêcher de se dire qu’on est nous prend pour des C…  forcément, cela ajoute à la colère. Quinta production, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, c’est Tarek Ben Ammar, un groupe gigantesque de grosses productions internationales. Et c’est aussi, un producteur sans scrupules qui, ayant fleuré l’intérêt commercial de l’événement, n’avait pas hésité à annoncer dès le 29 janvier 2011 qu’il allait produire un film sur Bouazizi et qu’il avait  acheté les droits cinématographiques de l’adaptation de la vie et de la mort bien sûr de Mohamed Bouazizi à l’écran.

Tarek Ben Ammar a toujours refusé de produire des films tunisiens ; bien que vivant à l’étranger, il n’a jamais manifesté contre Ben Ali. Pour ceux, comme moi, qui viennent du milieu du cinéma, on sait que Tarek Ben Ammar, qui ne s’en cachait pas, se foutait pas mal du cinéma tunisien et de la vie de ses compatriotes. L’annonce faite donc, deux semaines seulement après l’immolation de Mohamed Bouazizi, en dit long sur le retournement de veste et même si les bénéfices du film devaient être reversés à la famille, au final, le film qui devait être tournée dans l’année 2011 par Zran, n’a jamais vu le jour.A la place, on nous sert cette immonde soupe, qui, bien que consacrant la quasi totalité du film à Mohamed Bouazizi, ne serait pas le film initialement prévu…et on ne parle plus des fameux droits…

Quoiqu’il en soit, j’ai eu le sentiment d’avoir vu une de ces publications people à scandale exploitant la mort, le sang, pour satisfaire le voyeurisme de lecteurs friands de détails « croustillants ». Pour qui travailles-tu Mohamed ? Tu as vendu ton âme au diable… ce diable qu’il s’appelle Quinta, argent, ou envie de reconnaissance à tout prix, a emporté avec lui ton talent et ton honnêteté ? Pour qui roules-tu Mohamed ? En tous cas ici pas au service de l’art et de ton peuple. Ce que tu nous as montré hier ne nous donne qu’une envie, celle de dire à ton film  « Dégage ! ».

Florence Pescher

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