Le cocktail explosif de départ est là dans ses moindres détails : la pauvreté, l’ignorance, la violence, la misère sexuelle, les paradis artificiels, les trafics, l’absence d’avenir, même amoureux…quelques détails affirment une lucidité sans complaisance, le silence complice d’une mère qui accepte des cadeaux d’un enfant de treize ans en fermant les yeux sur leur provenance, la violence des enfants entre eux dès leur plus jeune âge où chacun doit montrer que seul la loi du plus fort prévaut…dur constat, mais moins attendu que la coercition d’un adulte sur un enfant.
Hamid joue les caïds, Yachine le petit frère n’a pas son mot à dire et accumule les frustrations…l’histoire aborde aussi les rivalités au sein même d’une fratrie. Lorsque quelques années plus tard Hamid est incarcéré pour deux ans, Yachine tente d’assumer sa famille tant bien que mal et de trouver dans les yeux de sa mère, la même reconnaissance que celle vouée au frère ainé. Si le scénario est focalisé sur ce duo principal, remarquable d’autant que joué par des comédiens non professionnels issus des bidonvilles, Nabil Ayouche glisse avec subtilité dans le cadre des détails qui indiquent pourtant que les temps changent…l’éviction du quartier d’une femme légère, le volume de l’adhène (l’appel à la prière) qui augmente, une silhouette en niqab qui passe, la prière dans la rue…
Deux ans de prison et la récupération par les islamistes de cette population facilement malléable a fait son œuvre, Hamid sort complètement changé. Là, encore assez subtilement, l’image, la lumière, le rythme change… sans tomber dans la lenteur, le climat est calme, la tension montante, l’ambiance assombrie… Nabil Ayouche prend le temps de nous montrer comment cette gangrène contamine les quartiers et gagne ses recrues, comment elle arrive à convaincre même les plus récalcitrants, en jouant sur tous les tableaux : la famille, son éloignement et sa prise en charge à la fois, le travail, la flatterie, l’apport enfin d’un rêve et d’une identité.
En nous épargnant cependant de fastidieux prêches inutiles, il mène ses protagonistes à l’issue fatale, n’occultant pas pour autant les doutes et les reculs. Même si, malgré toutes ces qualités, on peut déplorer une fin attendue, «Les chevaux de dieu» est un excellent film à voir, vraiment.
Florence Pescher