Qui saura que le cadre de la caméra limite le champ de vision mais que 30 000 personnes ce sont des gens et des tentes à perte de vue… des gens qui manquaient de tout au début, pas d’eau, pas de toilettes…Bref, il y avait tant à dire et à montrer. Babylon a séduit le festival de documentaire de Marseille, pourtant dans la salle, au bout du premier quart d’heure, il ne restait guère qu’une poignée de vingt personnes tout au plus.…
« Après la bataille » de Yousri Nasrallah n’est pas un énième film sur la révolution. C’est malgré certaines digressions, une œuvre comme on aurait aimé en voir beaucoup. Le réalisateur revient bien sûr sur ce bouleversement du printemps arabe et sur les événements de la place Tahrir, mais en tentant d’expliquer les doutes, les partis pris et les différences qui composent la société égyptienne contemporaine.
Le point de départ est la charge des chameliers et cavaliers sur les manifestants de la place Tahrir…Exclus subitement des abords des pyramides où ils gagnaient leur vie en promenant les touristes, ils se sont du jour au lendemain trouvés dans l’impossibilité de nourrir leurs familles dignement. Chômage encore aggravé par le printemps arabe qui a fait fuir les touristes et toutes chances de gagner quelques pièces de monnaie. Le pouvoir qui les avait affamés les a alors instrumentalisé et s’est servi d’eux contre les manifestants (même phénomène que les casseurs des Kasbah1 par exemple).
Mahmoud, le cavalier frustre héros du film de Yousri Nasrallah se trouve lui aussi dans cette situation de précarité et est prêt à tout pour ne pas vendre son cheval à qui il voue une affection sans bornes. Par un concours de circonstances, il rencontre une jeune et jolie publicitaire, bobo branchée, très engagée dans la lutte… C’est la naissance d’une histoire d’amour entre les deux protagonistes, improbable, impossible et avortée façon « musselsel à l’égyptienne » mais qui va devenir le prétexte d’une confrontation de deux catégories sociales que tout oppose, à l’instar de notre pays.
Le film de Nasrallah a le mérite d’aller à la rencontre de ceux qui n’étaient pas « du bon côté » sans les diaboliser, de donner la parole et toute leur place aux femmes dans une société qui les opprime ou qui les traite comme des objets sexuels. Nasrallah, en plaçant les femmes au cœur du débat, s’inscrit clairement dans le processus démocratique mais ne cède pas à la facilité d’une opposition trop manichéenne entre « libéraux » et islamistes. L’angle fictionnel permet donc d’essayer de comprendre les événements et d’apporter un éclairage sur les difficultés de l’après révolution, entre une bourgeoisie éclairée, éduquée et une population pauvre, ignorante, voulant juste subvenir à ses besoins. Un schéma que nous ne connaissons que trop bien. Même si «Après la bataille», se perd parfois dans des détours, il mérite d’être vu, sans aucun doute.
Florence Pescher