Nous vivons normalement, comme n’importe qu’elle famille tunisienne. Un jour on rit, un jour on pleure.
J’avais 3 frères et 3 sœurs, je suis l’avant-dernier. Mon père et mes frères font leurs prières à la mosquée chaque vendredi, parfois ma mère les accompagne et parfois nous la faisons toutes les deux ensemble à la maison.
…Rien d’extraordinaire ; une vie normale et paisible.
Tout a changé suite à un appel effectué par mon oncle : « allo, votre fils est parti au Jihad ». Un lourd moment de silence qui a laissé place aux cris de souffrance et aux larmes.
J’ignore toujours, quatre jours après, comment tout cela a pu arriver ! Ils étaient trois cousins à partir dans cette folie : mon petit-frère « Majed » (22 ans) et deux de mes cousins : Hamed (26 ans), Walid (19 ans).
Seul un de la tribu est parmi nous aujourd’hui, c’est le destin qui a voulu ainsi ! D’après Walid, ils étaient tous les trois à l’aéroport, s’apprêtant à prendre l’avion en direction de la Turquie en premier lieu et passer ensuite les frontières vers la Syrie. La nouvelle terre de « Jihad » désormais !
Ils étaient jeunes, « techniquement » intelligents, éduqués, mais après ce malheureux évènement, je doute fort qu’ils l’étaient vraiment !! Je me demande toujours comment et depuis quand ils planifiaient ça, avec qui ils l’ont fait … Des questions qui n’arrêtent pas de se poser au sein de notre « famille ».
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Ils étaient jeunes et barbus avec un visa aller simple vers la Turquie et peu de bagage en leur possession. C’est peut-être l’addition de tous « ces indices » qui a mis la puce à l’oreille de l’agent de douane. Voyant leurs « looks », âges et destination, ce dernier leur pose la question : «Est-ce que vos parents savent ce que vous vous apprêtez à faire?». Les trois mousquetaires répondirent par l’affirmative, d’après mon cousin Walid. Face à cette réponse, l’agent de douane prend son téléphone portable et leur demande les numéros de téléphone de leurs parents respectifs. Hamed, le plus âgé de la bande, lui file son ancien numéro, une ligne téléphonique désactivée. Le second, Majed, 22 ans, mon petit-frère, donne à l’agent de douane le numéro de leur «Sheikh» qui a prétendu être mon père. Il continue en disant : « mon fils va régler quelques affaires et il rentrera une fois qu’elles seront finies».
Place à Walid, le plus jeune de la bande, par inadvertance ou innocence, ce dernier donne à l’agent de douane les vrais coordonnées de son père.
Je ne vous raconte pas la surprise de mon oncle en recevant se coup de fil : « allô, bonjour monsieur, je voulais savoir si vous savez que votre fils Walid s’apprête à quitter le sol tunisien en direction de la Turquie, en premier lieu, puis vers une destination peu claire, en second ?». Scotché face à ce coup de fil, l’agent de douane a bien interprété ces moments de silence. Ne pouvant plus rien dire, ni quoi penser, mon oncle passa le téléphone à son fils aîné. Ce dernier demande à l’agent de douane de retenir mon petit cousin Walid, le temps de faire la route jusqu’à lui.
Chose dite, chose faite, en moins de 10 minutes, ils étaient à l’aéroport. Sur place, Walid ainsi que l’agent de douane les informe que Hamed et Majed sont dans l’avion et qu’ils s’apprêtent à décoller.
Ne sachant plus quoi faire, mon oncle nous contacte.
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Qu’en est-il à l’heure actuelle ?
Mon père et mon frère aîné sont partis le lendemain en Turquie pour tenter de ramener Majed. Nous n’avons aucune idée ni sur le lieu ni sur leurs situations actuelles. Les appels téléphoniques venant de mon père ne cessent de diminuer en temps et en nombre. Au bout de deux coups de fils, le silence. La communication se limite désormais : «vous allez bien ?»… ma mère, mes sœurs et moi n’osons pas poser la « fameuse » question : «l’avez-vous trouvé ?»…
Quant au reste de ma famille, les femmes s’occupent de leurs enfants un maximum de temps pour ne pas trop penser. Ma mère, elle, passe énormément de temps à la mosquée. Je ne la vois que pour quelques heures la nuit. Elle repart avant l’aube. Elle y va, non pas pour prier « uniquement » mais pour supplier les gens qui se trouvent à la mosquée de lui dire où peut se trouver son fils. Je vous en supplie dites-moi où il est et j’irai le chercher! ».
Une maman âgée, qui ne cesse de pleurer toutes les larmes de son corps. Une maman qui a abandonné la vie pour tenter de retrouver celle de son petit dernier.
Personne n’a eu pitié d’elle, ou de l’état dans lequel se trouve notre famille, aucune information jusqu’à maintenant n’est dévoilée…
Mariem Soualhi
à suivre…