« C’est sacré, c’est sacré ! » Tout mais pas une femme à la tête de radio Zitouna… Quand Iqbal Gharbi a essayé de rentrer dans son bureau de Directrice générale en novembre dernier, elle ne pensait pas un instant se retrouver dans un tel bourbier. Cette professeur d’anthropologie religieuse, chef de département de civilisation islamique à l’Université Zitouna, nommée à la direction de Radio Zitouna en septembre dernier, en tant qu’administrateur de la radio, alors confisquée à Sakhr Materi, actionnaire à hauteur de 99% du média, pensait agir en tant que citoyenne en aidant la radio à se relancer. Mais les violences auxquelles elle va faire face vont rapidement la décourager.
Mohamed Machfar, iman de la mosquée de Ben Ali, était alors en poste à la tête de la radio. « Il voulait rester PDG et n’a pas accepté la décision du gouvernement qui me nommait à ce poste. Il s’est donc allié avec les groupes salafistes de la région de Carthage, Soukra et Raoued … pour m’éloigner », explique Iqbal Gharbi. Quand, enfin, elle prend place à son poste en novembre, aucun dossier ne lui est remis. Et dix jours seulement après sa réelle prise de fonction, Mme Gharbi est victime d’une agression dans son bureau : «Une milice salafiste conduite par Adel Alimi est arrivée dans mon bureau et j’ai eu droit à un tribunal d’Inquisition… mes articles et publications, les colloques… La logique inquisitoire m’a fait peur : mes réseaux d’amitiés, mes réseaux de connaissance… tout était étalé… avec une logique policière» … Iqbal Gharbi porte plainte une première fois.
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Dix jours après sa première agression, elle retourne dans son bureau accompagnée d’un membre du syndicat des journalistes et d’un huissier. Impossible d’accéder à son bureau puisque ce même Adel Alimi se tient devant la porte. Mme Gharbi porte plainte une deuxième fois. Une troisième plainte est déposée contre lui quand il décide d’excommunier Iqbal Gharbi. En février, le Tribunal administratif confirme Mme Gharbi à son poste d’administrateur à la tête de la radio Zitouna, obligeant enfin Mohamed Machfar, l’ancien directeur, a lui transmettre les dossiers. Rien n’y fait, Iqbal Gharbi est remerciée, un autre est nommé à sa place et Mohamed Machfar continue son activité au sein de radio Zitouna…
Elyes Gharbi, nommé directeur de Shems FM, n’a pas eu à faire à des gros bras lors de sa prise de fonction. Pour autant, lui non plus n’a pas pu travailler tranquillement… Sa réelle prise de fonction sera elle aussi retardée. Il ne trouve pas d’extrémistes devant son bureau mais passe un mois comme directeur des programmes, sans rémunération… Et puis, au bout de quelques semaines, un conseil d’administration le nomme à son poste. «Mais lors du vote, le représentant de l’Etat … s’abstient». Étrange situation : l’Etat met en place Elyés Gharbi mais au sein du CA de Shems FM le représentant de l’Etat ne vote pas pour sa prise de fonction.
De novembre 2011 à janvier 2012, Elyes Gharbi arrive tout de même à travailler au sein de Shems FM, mais à partir du mois de janvier, l’ancien directeur général, bras droit de Cyrine Ben Ali et propriétaire en son nom propre de la licence de la radio, commence à faire le tour des institutions pour essayer de récupérer son poste… Peu de temps après, l’Etat nomme trois nouveaux administrateurs au sein du CA. Voilà comment, par un jeu de mathématiques, l’éviction de Elyes Gharbi a lieu… Deux mois et demi de travail et c’est fini : «Pour moi il y a beaucoup de ressemblance avec l’affaire de Dar Assabah». Contrairement à la situation de Iqbal Gharbi, il n’y a pas eu d’intimidation physique et de violence. Mais comme à Dar Assabah, il y a eu un putsh administratif.
Elyes est écarté et l’ancien DG reprend sa place. Dans cette nomination, Elyes Gharbi voit une intention de l’Etat, celle de mettre les médias à sa solde. Loin de la volonté de reforme et de changement attendue pas tous après la Révolution, on se retrouve ici avec une situation où l’influence, l’argent et les privilèges priment…
Au sein de la direction de radio Zitouna, comme de celle de Shems FM et de celle de Dar Assabah, des collaborateurs de l’ancien système ont été replacés. Le jeu du Premier ministère est étrange : s’acharnant à vouloir sortir une liste noire des journalistes, n’ayant de cesse d’invectiver les journalistes qu’ils jugent incompétents, proclamant vouloir nettoyer le pays des anciens membres du système, mais remettant en place à la tête du plus grand nombre de médias possible, des directeurs susceptibles de servir ses intérêts.
Sana Sbouai
Suite de l’article sur Nawaat