La famille turque ne garde que très peu du mouton, moins d’un quart, juste pour satisfaire à la recommandation religieuse qui demande à ce que l’on goûte la viande que l’on va donner aux autres et pour concocter le plat traditionnel de l’aïd, le Kavurma. Le Kavurma est une sorte de ragoût mijoté avec des poivrons rouges et verts, et de la mélasse de grenade. Ce plat de fête est accompagné d’autres plats que l’on prépare pour les grandes occasions, des mezzés, des dolmas (feuilles de vigne farcies), des mets raffinés. Ce ragoût est partagé en famille et on offre une assiette aux voisins. L’aïd est férié, quatre jours de congés sont octroyés. C’est festif, on visite les vieux, les gens âgés de la famille qui nous attendent avec impatience, on boit du thé, on mange des gâteaux… C’est une fête du respect où l’on rend hommage aux plus âgés, on peut même aller visiter son patron pour la circonstance.
Parfois des communes organisent des manifestations musicales ou des animations parce que les turcs profitent de ce congé pour sortir. C’est d’ailleurs aussi pourquoi les commerces, les restaurants etc. ouvrent dès l’après midi même du premier jour d’aïd, les gens sortent, ils rencontrent leurs amis. Seules les administrations sont fermées.
La Turquie est un pays laïc, beaucoup de turcs profitent également de ces quatre jours pour partir en vacances. Si auparavant l’aïd était moins fêté, avec le gouvernement actuel on voit une recrudescence de la pratique mais c’est incomparable avec ce qui se passe en Tunisie, la grande majorité ne fête plus l’aïd. Sans doute aussi à cause du coût, car en Turquie aussi les moutons sont chers. Après le déjeuner on ne mange plus de mouton, ni le soir, ni le lendemain”.
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L’islam en Turquie
Selon une enquête réalisée en 2004 par le Wall street journal, 96% de la population turque serait musulmane, répartie entre sunnite hanafite et alévis. L’histoire de l’islam en Turquie remonte au VIIIème siècle. A cette époque, des nomades d’origine mongole au service d’émirs perses se convertissent à l’islam puis, devenus indépendants, ils commencent vers l’an mil la conquête du nord de l’Inde tandis qu’à la même époque, au Moyen Orient, le petit fils d’un chef de tribu kirghize, appelé Seldjouk, converti à l’islam lui aussi, prend le pouvoir à Bagdad, alors capitale de l’empire arabe, dont il devient le sultan, reléguant le califat à la figuration. Les seldjoukides (nom de la tribu formée par Seldjouk) vont étendre leur conquête à l’Arménie, à l’empire byzantin, fonder le sultanat de Roum sur des terres prises aux grecs…
A partir de là, l’empire ottoman ne va cesser de s’étendre et d’affirmer sa suprématie, montrant l’exemple en sachant moderniser sa société et ses institutions tout en respectant tant la tradition coranique que la pensée européenne. Pionnière en matière de laïcité, la Turquie moderne fondée par Mustapha Kamal Atatatürk près la chute de l’empire ottoman en 1923 est souvent érigée en exemple par nos concitoyens qui y voient la solution de référence pour concilier islam et république, islam et modernité.
Aujourd’hui, les réformes profondes imposées par Atatürk pour laïciser le pays ont été petit à petit abandonnées pour un retour au religieux : retour de l’islam à l’école et dans le système éducatif, arabisation de l’appel à la prière, retour des confréries religieuses, naissances de partis islamiques, loi répressive sur le blasphème… de nombreux fonctionnaires islamiques tentent de revenir sur les principes laïcs qui avaient fait la gloire de la société turque contemporaine, des salles de prière sont improvisées, et donc non contrôlées par l’État qui gère les mosquées, dans les habitations privées ou les entreprises. Le mythe de la Turquie et de son modèle de société de tolérance a été bien écorné, même si les touristes de tous bords ne semblent pas s’en apercevoir, la Turquie dérive, elle aussi, vers une division entre laïcs, conservateurs islamistes, et alévistes, une confrérie apparentée au soufisme moins pratiquante et plus progressiste que la majorité sunnite.
Florence Pescher