Awatef Yazidi, chargée de communication nous a expliqué que la direction avait voulu éviter aux plus jeunes la vue de leur école saccagée. On rappelle que le 14 septembre, en réaction au film américain “l’innocence de l’Islam” jugé insultant pour les musulmans, des centaines de manifestants avaient attaqué l’ambassade des États-Unis et l’école américaine. Le bilan est lourd: 4 morts et des dizaines de blessés ainsi que d’énormes dégâts matériels. Baya s’est rendue sur place pour voir l’étendue des dégâts autant matériels que psychologiques.
A peine le grand portail passé, on se retrouve dans un décor de guerre: char garé dans la cour, militaires armés, bâtiments incendiés, on est très loin de l’image d’une école. Awatef m’explique que c’est le poste de sécurité qui a été d’abord détruit avec des cocktails Molotov, ensuite la bibliothèque a pris feu, détruisant dix mille livres. Elle était chez elle quand elle a appris l’attaque: “Je n’aurais jamais pensé qu’il puisse nous arriver ce genre de choses.
Quand j’ai vu les images à la télévision, j’ai pleuré mais découvrir la réalité des choses sur le terrain, samedi matin, a été encore plus terrible. Tout ou presque a été volé et ce qui n’a pas pu être volé parce que trop gros ou trop lourd comme les photocopieuses par exemple a été méthodiquement détruit. Tout a été renversé, cassé, déchiré. Parents, anciens élèves et bénévoles sont venus tous les jours pour nous aider à remettre les choses en place. La facture des dégâts s’élève à 5.5 milliards”.
Sihem Errached, enseignante de français, est encore traumatisée: “En arrivant samedi, quand j’ai vu les locaux incendiés, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer mais découvrir ma classe a été un choc encore plus terrible. Tout était par terre, les affaires des enfants, les dossiers, les boîtes d’archives et quelqu’un a pris un malin plaisir à faire pipi dessus. c’était horrible. Cet évènement est vraiment stressant, j’ai l’impression d’avoir un poids énorme sur la poitrine. Des psychiatres et des psychologues sont d’ailleurs venus en parler avec nous”.
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Dorsaf Kouki, enseignate d’arabe depuis plus de 20 ans à l’école américaine qualifie cette attaque de “bêtise de la hargne face à l’éducation”. Pour elle, chaque vol, chaque vandalisme au sein d’un établissement scolaire est un pas en arrière pour une Tunisie qui est si attachée à l’éducation. “Cette école est depuis plus de 50 ans une fenêtre ouverte sur le monde. C’est aussi une image de la Tunisie dans le monde, un pont entre différentes cultures. C’est une école aux nationalités multiples, ouverte à tous. Ceux qui ont attaqué l’école ont oublié qu’il y avait aussi des enfants tunisiens scolarisés ici et qui aujourd’hui se sentent coupables de ce qui est arrivé parce qu’on a commis des atrocités au nom de leur religion. Ici, on enseigne aux enfants des matières de base comme partout ailleurs, mathématiques, sciences, langues … mais on leur enseigne aussi la solidarité, la compassion, l’acte citoyen.
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Chaque classe adopte un projet social: orphelinat, centre pour handicapés, lutte contre le cancer, opérations chirurgicales pour les personnes nécessiteuses, achat de matériel scolaire… Les enfants amassent des pièces, vendent des gâteaux, des t-shirts…et c’est leur argent qui finance l’action.
Chaque élève, chaque professeur et chaque parent se sent responsable et essaie d’améliorer à son échelle la vie en Tunisie. C’est pour cela que cette agression me met hors de moi. On apprend à nos enfants à être ouverts, solidaires, généreux et ils se retrouvent en face d’une violence inexplicable pour eux. D’ailleurs des dons (vêtements, ordinateurs, fournitures…) qui étaient destinés au centre d’handicapés de Mghira (village près de Naassen) ont été volés dans ce casse. Il va falloir trouver un moyen d’expliquer aux enfants, surtout les musulmans, que leur religion n’est pas cette violence aveugle et sanguinaire”.
Il n’y a aucune chance pour que je l’obtienne à nouveau et cela me désespère parce que j’adore enseigner la musique et qu’avec un matériel de qualité, c’est une expérience encore plus gratifiante. Vous imaginez que pour racheter le strict minimum, il faut au moins 40 000 dollars?” Je l’ai laissée continuer tristement l’inventaire de ses cartons vides avec une seule pensée: “Quel gâchis”!
Sonia Bahi Fellah