Interrogée en 1952 par un journaliste de la revue Al Moustama’a al Arabi, sur les circonstances de la création de la première Association, elle répondit: «… L’année 1935 fut marquée par une effervescence politique, il y a eu de nombreux évènements nationaux et seuls les hommes luttaient. J’ai ressenti que la femme devait participer à cette lutte et accomplir son devoir envers sa patrie. A ce moment, beaucoup de hautes personnalités furent arrêtées et éloignées du pays. J’ai lancé un appel à 1.500 femmes des grandes familles, mais 15 seulement y répondirent. Une semaine après, j’en ai appelé d’autres. 50 sont venues. Mais elles n’étaient pas venues pour me soutenir, mais pour me blâmer».
Une année passa, les réunions se poursuivaient. Petit à petit, les Tunisiennes commencèrent à se rendre compte de l’existence de l’UFM et à l’encourager. La presse commença également à publier des articles sur son action.
Pour éviter une confrontation directe avec la puissance coloniale, B’chira milita officiellement dans un cadre religieux en revendiquant les droits prescrits dans le Coran jusqu’à l’autorisation des statuts de l’UFM en 1951. La connotation religieuse de l’association était principalement due à l’existence d’autres organisations chrétiennes ou juives.
III – Son combat féministe
B’chira se révolte très tôt contre la condition des femmes dont le temps est consacré uniquement à s’occuper des enfants et de leur famille et maintenues dans l’ignorance la plus totale de la vie publique.
Elle perdit sa mère alors qu’elle avait 10 ans. Elle construit donc sa féminité à la fois toute seule et en s’identifiant à 2 grandes dames: l’Egyptienne Houda Charâaoui, qui a jeté publiquement son voile dans le Nil et qui a combattu le colonisateur anglais au péril de sa vie. Houda Charâaoui publiait un journal el massriya que B’chira lisait régulièrement. Elle admirait également Aziza Othmana qui a défendu les droits des enfants, des femmes et aussi les droits de l’homme et qui dépensait sa fortune de fille de Dey pour affranchir les esclaves.
Elle défend avec acharnement l’idée que l’islam ne s’oppose pas à la liberté de la femme ni à son instruction, bien au contraire! Son père, Mohamed Salah ben M’rad, Cheickh islam hanfi la soutient ! B’chira rencontre néanmoins une réaction farouche d’une partie des cheikhs de la Zitouna qui s’opposent à cette instruction et à leur sortie de leurs foyers. Elle ne cédera pas et leur répondra dans son journal «Tounès el fatat» qu’elle fonde en 1938.
Le pouvoir politique s’oppose aussi à son projet. D’abord, Ahmed Bey lui envoie une lettre écrite par la main de son Premier ministre pour exprimer son refus de développer l’instruction des femmes; ensuite la France, qui refuse d’accorder le visa pour l’association (ce n’est qu’en 1951 que les statuts de l’UFM furent agréés).
Elle méprisera le Bey et ignorera la France. Elle sera souvent interrogée par la gendarmerie et elle sera même arrêtée pendant plusieurs jours, mais elle continua. La “Main rouge“ la menace en mettant une bombe près de sa maison, qui, par chance, n’éclate pas.
Elle réunit de plus en plus de femmes d’abord dans les maisons, en cachette de la gendarmerie française, puis dans des lieux publics. De quelques femmes, le mouvement passera à des milliers. Elle crée des sections dans la banlieue de Tunis (Hammam-Lif, La Marsa) puis dès les années 40, dans les autres régions du pays (Nabeul, Sfax, Le Kef, Tataouine…).
Elle forme une jeunesse féminine qu’elle encourage à s’habiller sans voile (jupes à mi-mollet en été et manteaux en hiver), à faire du théâtre et du scoutisme, et les envoie même à l’étranger, par exemple, en Algérie (habibèt el kachafa).
IV – Son combat politique
Très tôt, vers l’âge de 13 ans, elle surprend une conversation entre Mahmoud el Materi et d’autres résistants qui veulent lutter contre la présence française en Tunisie. Elle n’a pas le droit de se mélanger à ce groupe d’hommes, mais elle écoute tout, et prend conscience que le pays est en danger.
Deux ans après la création de l’UFM, B’chira apporte son soutien à Ali Belhouane. Le 8 avril 1938, une grande manifestation arrive de Bab Souika devant l’actuel Consulat de France. Sur une tribune, Ali Belhaouane fait un vibrant discours, défendant l’idée d’une «houkouma watania tounnssia», à côté de lui, se tenait B’chira en sefsari. La foule des hommes est immense et tous se demandaient qui était-elle? Elle avait emmené avec elle un petit groupe de femmes et d’enfants. Le lendemain, 9 avril 1938, le gouvernement français donne l’ordre de tirer! Une centaine de morts!
B’chira reçoit Habib Bourguiba régulièrement chez elle, se concertant sur les actions de la résistance. Elle devient, au travers de son association, un incontournable collecteur de fonds pour le parti destourien.
De plus, c’est elle qui organise la rencontre entre le pouvoir beylical et le Destour. En vrai stratège, elle introduira Bourguiba auprès de Lamine Bey dans sa résidence d’été à Hammam-Lif. A partir de ce jour, les deux pouvoirs se concerteront régulièrement pour la libération de la Tunisie.
Les relations de B’chira avec la centrale syndicale étaient très étroits. Farhat Hached venait la voir régulièrement pour lui apporter son soutien. Elle confiait à si Farhat, comme elle disait, des textes manuscrits qu’il se chargeait d’imprimer. Avant leur distribution, ces «tracts» étaient souvent cachés chez sa sœur Néjiba qui habitait la rue El Monastiri à Bab Souika.
C’est d’ailleurs à partir de Bab Souika que B’chira organisait des manifestations et des marches contre le pouvoir colonial, jusque devant le palais de Lamine Bey, réclamant un «barlamène tounssi».
Farhat Hached, l’UGTT et le Parti destourien la soutenaient en participant à ces marches, mais de l’autre côté du trottoir, car à l’époque, les sexes ne se mélangeaient pas trop.
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Mme Badra ben Mustapha était la première sage-femme qui a obtenu son diplôme à Alger en 1936 et elle était la trésorière de l’union musulmane des femmes de Tunisie.